Portrait of time
Dans la peinture de Inhyuk Park le temps est à l’œuvre comme s’il s’agissait d’un matériau à part entière, dont la substance imprègne le processus de création à différents niveaux.
D’abord, le temps du rituel : c’est par un geste constamment renouvelé dans sa persistance que la discipline et la tenue d’un exercice régulier touchent à l’ouverture d’un élan inépuisable.
Le peintre coréen retrace la cadence du rituel par les contours du portrait, afin d’en déceler le possible enfui : pendant plusieurs années, Inhyuk Park a fait de son propre visage le thème récurrent de sa peinture, figure réitérée par un rythme obsessionnel qui donne à apercevoir l’interstice de l’autre là où la répétition du même se fait plus insistante.
A la fois, la primauté accordée au geste dans sa récurrence presque cérémoniale “fatigue” l’idée du portrait comme représentation, laissant ainsi que l’abstrait s’y installe et fasse du visage même l’espace d’un territoire qui reste toujours à explorer et à parcourir entre ses propres contours.
L’ensemble Un autre paysage est un cycle de peintures à grande échelle caractérisées par une déclinaison de gris qui semble faire écho à l’alternance des cycles naturels : une dégradation tonale qui se répand d’une surface à l’autre selon différents degrés d’intensité lumineuse, alors que par moments tout s’assombrit jusqu’à effleurer les profondeurs du noir.
Devant la toile, à proximité de sa surface, la vivacité du geste ainsi que les traces de l’écoulement font deviner la rapidité d’exécution. Ce n’est qu’en prenant du recul face à la peinture que l’expérience du regard passe par une découverte progressive de l’image en retrait : on ressent alors le temps comme condition nécessaire à percer les stratifications de matière picturale qui voilent une présence silencieuse. Dans l’espace de la rencontre avec l’œuvre, la peinture toute entière est éprouvée comme situation temporelle.
Le temps du “quotidien” est pensé comme matière, alors que l’artiste s’empare du journal et en fait un support versatile : les pages torsadées, déchirées et assemblées sont collées entre elles, se solidifiant en une texture quasi sculpturale. Les caractères imprimés sont souvent rendus illisibles, recouverts de colle, d’encre, de peinture et de fusain ; ou bien ils restent lisibles en transparence, à l’arrière-fond d’une série de portrait “négatif” où la forme apparaît en réserve, telle la matrice d’une impression positive. Le papier journal devient pour Inhyuk Park un support favori, travaillé par épaisseurs successives. Superposer et recouvrir sont des actions grâce auxquelles le peintre coréen imprime à la matière un rythme de stratification cadencé au quotidien, par où l’éphémère se solidifie en mémoire.
Dans la série de travaux sur papier, l’empreinte du temps devient celle d’un tampon portant la date du jour et pressé sur le support jusqu’à l’exhaustion de son encre. Une trace de l’aujourd’hui renouvelée chaque jour, jusqu’à ce que le papier en soit complètement recouvert. Au final, ce sont les nuances et les dégradés plus ou moins intenses qui offrent au motif toute sa cohésion. Le temps du quotidien, énoncé dans une formule conventionnelle, se retrouve ici d’abord dispersé pour ensuite regagner un ordre, cette fois complètement pictural.
Inhyuk Park travaille la matière comme densité temporelle, dans la répétition d’un effort quotidien et rigoureux où l’insistance du geste fait de la peinture une épreuve constante qui ne se donne jamais pour acquise : on y découvre, alors, la possibilité même du pictural comme processus et comme chemin hors de toute linéarité préconçue. On perçoit une urgence qui dépasse le désir de l’achèvement pour devenir véritable quête, plus ample et silencieuse, éloquente comme seule la peinture sait l’être.
Art critic,
Giulia Leonelli
26 April 2014
Ponetive space